Le matériau "Ferrochimique", un mélange qui forme spontanément un empilement lamellaire polaire (et donc non centro-symétrique), est une possible alternative organique aux matériaux rares pour la réalisation de composants optiques non linéaires ...
Les matériaux assemblés lamellaires purs (formés d'un seul constituant), comme les copolymères diblocs, les phospholipides ou les cristaux liquides smectiques, présentent une structure d'équilibre lamellaire qui est symétrique le long de la normale z aux lamelles. Jusqu'à présent, seules certaines molécules plus complexes, comme des molécules chirales ou "banana shape", permettaient de casser cette symétrie en z au prix d'une réduction de symétrie dans le plan des lamelles, avec des applications importantes dans le domaine de l'affichage.
Goldacker et al. ont montré en 1999 [Nature volume 398, pages137–139] qu'on peut aussi rompre la symétrie de l'empilement selon z sans rompre celle des molécules en utilisant des mélanges de copolymère diblocs ac et de copolymères triblocs ABC, une grande lettre désignant un plus grand bloc. En effet, l'association (monopolaire) entre blocs de longueur différente, comme A-a est plus favorable que l'association entre blocs de même longueur comme A-A. Mais l'ordre polaire obtenu ABC-ca-ABC-ca... reste mécaniquement et thermodynamiquement très fragile, au point d'êtret inutilisable pour des applications.
J'ai proposé une autre piste qui permet de casser la symétrie en z à partir de polymères blocs parfaitement symétriques autour de leur axe. Le matériau est constitué d'un mélange ternaire aBc + bCa + cAb de triblocs obtenus par permutation de trois séquences A, B et C, une grande lettre représentant cette fois un bloc deux fois plus long qu'une petite lettre. Les blocs centraux ont tous même longueur. Cela permet la formation de lamelles sans tension. Ces matériaux sont baptisés ferrochimiques parce que l'orientation des molécules est gouvernée par des interactions dipolaires chimiques (le dipôle AB par exemple préfère le contact avec AB dans une séquence ABC ou dans une séquence CAB qu'avec tout autre dipôle). Cette orientation est aussi constante dans tout le matériau, dont la structure est représentée sur la figure ci-dessus.
Le coût de fabrication de ces matériaux peut devenir très faible, et ils peuvent avoir une forte réponse optique non linéaire du second ordre. Pour cette raison, ce sont d'excellents candidats pour la fabrication à faible coût de composants pour les télécommunications. Mais d'autres applications sont envisagées, par exemple dans les procédés de fabrication en microélectronique, ou pour fabriquer des actuateurs, ou pour la fabrication de batteries et de super-condensateurs ultra compacts.
La figure ci-contre montre un chemin qui aide à comprendre leur structure. Chaque rectangle tricolore est un morceau de monocouche (une plaquette) à un composant tel que aBc. Les trois sortes de plaquettes s'empilent en une chaîne polaire (une colonne) qui, seule, n'est pas stable car l'un des rectangles peut être retourné et mis en vis à vis avec un rectangle identique. Un tel défaut renverserait brusquement la polarité de l'empilement. Mais deux empilements identiques (deux colonnes sur la figure) décalés d'une demi-période s'intercalent et stabilisent l'ordre polaire, un bloc central "agrafant" deux blocs voisins de même couleur. La juxtaposition de deux empilements polaires décalés d'une demi-période est parfaitement stable. Il reste à laisser l'entropie faire son travail et distribuer les molécules de cette manière plutôt que les morceaux de monocouches préformés. Cela revient à mélanger latéralement les constituants de nos colonnes. L'entropie est également responsable du décalage des deux empilements qui s'entremêlent donc complètement. Ces matériaux doivent avoir une très grande stabilité mécanique parce qu'il n'y existe aucun plan de glissement. Leur très grande stabilité thermodynamique ainsi que la faisabilité de leur mise en ordre par des techniques de recuit par évaporation lente de solvant ont d'ailleurs été démontrées par une simulation numérique effectuée à Göttingen par M. Muller et F. Leonforte. La figure ci-dessous illustre leurs premiers résultats.
Dans la légende de cette figure, SCMF signifie Self-Consistent Mean Field, et SVA Solvent Vapor Annealing; r∟/L∟ est la distance au mur qui borde le matériau, et t est une unité de temps. Fbcp est la fraction volumique de chaque bloc.
La structure de l''interface est complexe parce qu'il n'y a pas de plan de glissement. C'est une question particulièrement intéressante, et de plus d'un grand intérêt pratique puisqu'elle gouverne la formation et l'orientation de la structure ferrochimique près d'un mur.
Les structures ferrochimiques peuvent aussi être utilisées comme matrices afin d'accueillir des nanoparticules "Janus" (d'autres dipôles chimiques) orientées par les interfaces, et obtenir ainsi des matériaux nano-composites polaires.
Les ferrochimiques ont fait l'objet d'une publication (Macromolecules 2012) et d'un brevet américain délivré en 2017 (US9790312). Leur réalisation effective nécessitera l'implication de chimistes pour la synthèse des trois tri-blocs. D'autres compositions sont également possibles, impliquant d'autres multi-blocs.