A3.1 - Surfaces vicinales liquides

Des escaliers parfaits, des terrasses régulières, des pyramides ... C'est le spectacle naturel que nous offrent les films smectiques très minces lorsqu'on voyage en microscope.

Un seul échantillon d'1 cm² contient 16 000 paysages de ce genre, tous différents. Les molécules smectiques s'organisent spontanément en couches, le plus souvent en bicouches (deux couches disposées tête-bêche). Leur épaisseur n'est vraiment pas facile à modifier. De plus, ces couches s'orientent le plus souvent parallèlement au solide qui les supporte. Tout ceci fait qu'un film smectique très mince, fait d'un petit nombre de couches, voit son épaisseur quantifiée : n ou n+1/2 bicouches, selon l'affinité relative des deux extrémités de la molécule smectique avec le solide et avec le milieu ambiant. La figure montre l'arrangement local d'un film de copolymères, observé avec un AFM (Microscope à Force Atomique). Avec 150nm pour une demi-douzaine de bicouches, l'épaisseur d'une monocouche de molécules est d'environ 13 nm, ce qui est très grand pour une molécule. Quand l'épaisseur moyenne du film varie, le nombre de bicouches augmente par sauts d'une unité. Cela rappelle les surfaces vicinales qu'on obtient en coupant un cristal avec un angle très faible par rapport à un plan de clivage.  On obtient des marches atomiques similaires, qui se réarrangent aussi spontanément, mais seulement par le mouvement des atomes situés en bord de marche car ces marches sont solides. Ce sont des plaques. Par contraste, les marches smectiques sont liquides, ce sont des flaques. Quand la forme du bord évolue, ce sont donc toutes les molécules d'un étage qui coulent. Le réarrangement des bords est gouverné par la tension de ligne qui caractérise l'énergie associée à la discontinuité de la flaque liquide parce qu'à l'intérieur les molécules s'attirent les unes les autres. Pour le comprendre intuitivement, on peut penser aux animaux qui s'agglomèrent l'hiver pour se protéger du froid et forment spontanément, de la même manière, des tas présentant des bords réguliers et arrondis. L'énergie de ligne est l'analogue du froid qui pénètre le tas par le bord. Cette analogie nous rappelle incidemment que, coincés au sol par la gravité, les mamifères ont une existence essentiellement bidimensionnelle.